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Fanny Bourel
le 5 octobre 2020

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Ni les subventions publiques ni les revenus de billetterie ne suffisent à financer la culture en temps normal, et c’est encore plus vrai en temps de pandémie.

Comment les organisations culturelles peuvent-elles traverser la tempête financière provoquée par la crise de la COVID-19? Si le gouvernement québécois a annoncé, vendredi, l’octroi d’une aide aux arts de la scène, une étude publiée la semaine dernière par le Conseil des arts de Montréal (CAM) et HEC Montréal met en lumière une voie encore trop peu exploitée par le milieu culturel : la philanthropie, dite de proximité, qui mise sur le grand public.

Derrière le concept de philanthropie de proximité se cache une pratique qui consiste à nouer des relations durables avec la communauté pour puiser des dons directement auprès des citoyens et citoyennes.

Tous les dons, même petits, sont utiles

La philanthropie est encore souvent perçue comme une activité réservée aux personnes très riches, mais c’est un mythe, selon Jean-Pierre Primiani, directeur du développement de l’Opéra de Montréal, qui gère notamment la philanthropie.

“Il n’y a pas de petits dons. Les grands mécènes ne représentent qu’une partie de l’équation”, explique-t-il.

Toutes les personnes qui ont à cœur de soutenir l’art peuvent contribuer à financer des organisations culturelles. Et ce sont vers ces personnes que l’étude Repenser la philanthropie culturelle à Montréal : les relations et la communauté, qui s’est étalée sur deux années, préconise de se tourner, et pas seulement en cette période marquée par les effets dévastateurs de la COVID-19 sur le secteur culturel.

Rendre la culture moins dépendante des subventions et des ventes de billets

En effet, ni les subventions publiques ni les revenus de billetterie ne suffisent à financer la culture en temps normal, et c’est encore plus vrai lorsqu’un grand nombre de lieux culturels sont fermés en raison de la pandémie.

« Quand on achète un billet, on n’a pas conscience du fait que cela ne paie pas l’ensemble du coût d’un spectacle. »    —  Jean-Pierre Primiani, directeur du développement de l’Opéra de Montréal

Les dons privés donnent donc la possibilité aux théâtres, aux compagnies de danse, aux musées ou encore aux orchestres de se financer davantage. “Cela nous permet de rêver et d’avoir une souplesse propice à la création artistique », ajoute-t-il.

Traditionnellement, ces dons viennent notamment du milieu des affaires, mais le marché est saturé et ils s’accompagnent souvent de conditions fixées par les entreprises aux organisations culturelles, comme l’offre de billets ou l’organisation d’événements privés.

Les événements-bénéfice sont également prisés pour récolter de l’argent, mais ils sont coûteux en temps et en ressources; ils s’avèrent donc peu rentables.

Développer la philanthropie de proximité pour collecter davantage de dons individuels aiderait donc les organisations culturelles à poursuivre leur mission.

“La communauté, qui est très attachée à l’art et à la culture, est là et attend d’être sollicitée”, souligne Julien Valmary, directeur du soutien et des initiatives stratégiques au CAM.

Un élan né au printemps dernier

Preuve que les amoureuses et amoureux des arts sont prêts à contribuer au financement des arts, de nombreuses personnes ont refusé de se faire rembourser leurs places de spectacle au printemps dernier lors du confinement.

“Et d’autres ont répondu aux campagnes de dons liées à la COVID-19”, déclare Wendy Reid, la professeure en management à HEC Montréal qui a dirigé l’étude.

“La campagne des billets solidaires nous a permis d’acquérir plus de 1000 donateurs”, se réjouit Jean-Pierre Primiani, qui pense que ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 5000 à l’avenir.

Pour Julien Valmary, outiller les organisations culturelles en matière de philanthropie est donc nécessaire. “Une relation s’est créée, des donateurs que l’on n’avait jamais sollicités sont arrivés. Il s’agit de faire en sorte que ce mouvement de solidarité citoyenne se poursuive et qu’il s’inscrive dans la durée.”

C’est d’autant plus important que le Québec constitue un terrain favorable à la philanthropie de proximité. “L’idée de solidarité rejoint les valeurs québécoises, met en avant Wendy Reid. Devenir donateur [non pas seulement spectateur ou abonné] contribue à créer une communauté solide basée sur l’expérience artistique.”

L’exemple de l’Opéra de Montréal

L’engagement de l’Opéra de Montréal dans la voie de la philanthropie de proximité se traduit notamment par une programmation spéciale pour ceux et celles qui font des dons : rencontre avec les artistes, classes de maître, visite de l’atelier des costumes…

“Ce sont souvent des gens curieux et passionnés”, souligne Jean-Pierre Primiani.

Alors qu’avec la vente de billets, la relation avec le public se noue, temporairement, surtout autour des œuvres présentées en spectacle, l’objectif, pour ce qui est de la philanthropie de proximité, est de construire un lien à plus long terme, humain et centré sur l’expérience artistique.

« On veut casser le mur entre les artistes et le public, briser l’anonymat de la foule. Derrière chaque spectateur assis sur son siège, il y a une histoire : quelqu’un qui a découvert l’opéra à 7 ans avec son grand-père… Il y a une dimension très personnelle derrière l’art lyrique. » — Jean-Pierre Primiani, directeur du développement de l’Opéra de Montréal

En plus de dévoiler ses coulisses aux philanthropes, l’Opéra de Montréal a lancé un programme de parrainage des artistes participant à son atelier de résidence, l’Atelier lyrique.

“Le donateur ne paie pas l’ensemble du cachet de l’artiste qu’il parraine, précise-t-il, mais l’idée est de bâtir une famille de soutien autour de la dizaine d’artistes de l’Atelier lyrique.”

Et qu’en pensent les artistes qui participent à ces rencontres avec ces donateurs et donatrices? “Ils se prêtent bien à l’exercice, assure-t-il. Les chanteurs adorent le public, ils aiment raconter leurs histoires à des fans d’opéra qui aiment les entendre. Cela donne souvent des conversations profondes et humaines.”

Source: Radio-Canada